Nous sommes passés devant les bicoques du côté du carrefour entre Welton Street et la 17ème Rue, dans la nuit embaumée de Denver. L’air était si doux, les étoiles si belles et si grande la promesse de toutes les ruelles pavées, je me croyais dans un rêve.
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Ce ne sont pas tant les paroles que la mélodie, son harmonie, la façon dont Billie chante ça, comme une femme qui caresserait les cheveux de son homme à lueur douce de la lampe.
On les a regardé disparaître dans la nuit vers les baraques, au bout de la ville, un gars en blue-jean qui regardait passer la nuit leur avait dit qu’ils y trouveraient les types de l’embauche.
Des grands types maussades nous regardaient, devant des immeubles aux façades en toc. La rue principale n’était qu’un alignement de boîtes à chaussures. Au bout de chaque rue triste, l’immensité des plaines.
Nous revoilà devant l’inscription Preston, sur le château d’eau. Le train de Rock Island est passé comme un boulet de canon. On a aperçu le visage des passagers du Pullman, tout flous. Le train hurlait en traversant les plaines, il roulait vers nos désir. La pluie redoublait. Mais j’étais sûr que j’y arriverais.
Cet après-midi-là, à Des Moines, partout où je regardais, j’ai vu des hordes de jeunes beautés, qui rentraient du lycée; mais j’avais autre chose à penser, et je me promettais de me rattraper à Denver.
Image: Des Moines vu par Luc Moullet, photogramme tiré du Ventre de l’Amérique
J’ai rencontré Neal pas très longtemps après la mort de mon père… Je venais de me remettre d’une grave maladie que je ne raconterai pas dans le détail, sauf à dire qu’elle était liée à la mort de mon père, justement, et à ce sentiment affreux que tout était mort.
(Le rouleau original, Gallimard, 2010, traduction José Kamoun)