Au début du mois d’août, j’ai relu les Anneaux de Saturne dans la nouvelle édition Babel. Sans qu’il soit fait mention d’une révision de traduction, le texte commence ainsi :
En août 1992, comme les journées caniculaires approchaient de leur terme, je me mis en route pour un voyage à pied dans l’est de l’Angleterre, à travers le comté de Suffolk, espérant parvenir ainsi à me soustraire au vide qui grandissait en moi à l’issue d’un travail assez absorbant.
(Babel, traduction de Bernard Kreiss, 2012)
Au lieu de
En août 1992, comme les journées du Chien approchaient de leur terme, je me mis en route pour un voyage à pied dans l’est de l’Angleterre…
(Actes Sud, même traducteur, 1999)
Je ne sais quelles considérations ont justifié le remplacement des « journées du Chien » par « journées caniculaires », mais en substituant aux temps astronomique et astrologique un temps purement météorologique, j’ai le sentiment que ce début perd un peu de son effet proprement sidéral et sidérant, né de l’opposition entre la référence à un moment
août 1992
et à un lieu
le comté de Suffolk
précisément localisés dans un calendrier et une géographie d’ici-bas, d’une part, et l’évocation (invocation?) stellaire
d’autre part. Du même coup je retombe sur terre, ou du moins, j’en décolle moins rapidement.
Demeure cependant le vide dans lequel beaucoup des récits de Sebald débutent. « Par lequel » serait plus juste.
Vertiges, p.35:
En octobre 1980, partant d’Angleterre, où je vis depuis près de vingt-cinq ans dans un comté la plupart du temps enfoui sous les nuages gris, j’étais allé à Vienne, dans l’espoir qu’un changement de lieu me permettrait de surmonter une passe particulièrement difficile.
Vertiges, p.36:
C’est un vide d’une qualité particulière qu s’installe lorsque dans une ville étrangère on compose en vain un numéro pour tenter de joindre quelqu’un au bout du fil.
Les Émigrants, p.184 :
Les dimanches, dans l’hôtel abandonné, j’étais en ce qui me concerne envahi d’un tel sentiment de vacuité et d’inutilité que pour me donner au moins l’illusion d’avoir un but, je me rendais en ville, marchait au hasard parmi les immeubles monumentaux du siècle dernier.
Austerlitz, p.9 :
Dans la seconde moitié des années soixante, pour des raisons tenant en partie à mes recherches et en partie à des motivations que moi-même je ne saisis pas très bien, je me suis rendu à plusieurs reprises d’Angleterre en Belgique, parfois pour un jour ou deux seulement, parfois pour plusieurs semaines.
C’est un vide avide, en expansion, qui colonise le temps, l’espace,
Les Anneaux de Saturne, p.304:
Cet idéal d’une nature s’inscrivant dans le vide
p.307:
Le vide torricellien qui environnait les grandes maisons de campagne à la fin du XVIIIe siècle.
leur donnant une profondeur infinie et l’acoustique d’une chambre d’échos. Un vide qui mobilise, une dépression qui aspire le monde, attire à elle les éléments du récit; un vide « torricellien », donc, dans lequel les choses du passé se déplacent aux côtés de celles du présent; un vide dont on ne sait pas toujours s’il est cet abîme au-dessus duquel est suspendu le narrateur, ou bien son propre monde intérieur. Un peu des deux, à l’évidence, et même davantage, car c’est dans l’épaisseur paradoxale – à la fois cotonneuse et vertigineuse – de ce vide que le lecteur entre lui aussi en lévitation légère, tandis que la prose de Sebald, s’élève
sur un sommet artificiel, sur une hauteur imaginaire, située sensiblement au-dessus du reste du monde
comme il est dit, toujours dans Les Anneaux (p.102), de Jacob Van Ruysdael
quand il peignit sa Vue de Haarlem.