Biblioteca civica de Vérone/Biblioteca universitaria de Gênes

26 décembre 2012

Par Arnau Thée

« Quoiqu’une note placardée à l’entrée avisât le public que la bibliothèque étaient fermée pour les mois de vacances, la porte était entrouverte. » (Vertiges, pp 125-126)

La scène se passe à la Biblioteca civica de Vérone. Sebald poursuit :

 « Mais l’intérieur restait plongé dans une telle obscurité que je fus obligé d’avancer à tâton. » (Vertiges, p 126)

Plus tard pendant mes congés, je passerai à Vérone, simplement pour un bref arrêt  à la gare, allant à Venise et venant de Gênes – ville a priori non estampillée sebaldienne, où j’ai séjourné une dizaine de jours au mois d’août.

En compagnie de Sébastien Chevalier et d’une belle jeune femme blonde, je me suis faufilé en plein été dans une bibliothèque attenante à l’Université située Via Balbi, qui mène à la gare centrale de Gênes.

Quelques jours après, mes compagnons auront quitté la ville et je lirai ces lignes en forme d’échos dans Vertiges. Attiré par la façade – celle de l’ancienne église du collège des jésuites –, je me suis permis de pousser la porte, qui, surprise, s’ouvrit. Nous pénétrons dans le lieu ; une femme désoeuvrée était postée à son guichet, derrière une vitre. « Posso visitare prego ? » demandai-je timidement. J’interprétai le signe de la tête qu’elle nous opposa comme une permission.

En montant l’escalier, nous croisons un homme d’une quarantaine d’années, approchant peut-être la cinquantaine ; légèrement empâté, dégarni, vêtu d’une chemise rose et d’un pantalon clair. Le bas de son visage présente une barbichette rase ; sur son nez reposent des lunettes rondes à montures dorées. Nous échangeons un « Buongiorno ». Il descend, nous montons.

Sebald, dans la biblioteca civica à Vérone :

 « Ce n’est qu’après avoir essayé une série de becs-de-cane qui tous me semblèrent placés étrangement haut que je réussis à tomber sur un employé des lieux, dans la salle de lecture baignée par la douce lumière de la matinée. C’était un vieux monsieur aux cheveux et à la barbe soigneusement taillée […]. Muni de protège-coudes en satin et chaussé de lunettes demi-lunes cerclées d’or […] » (Vertiges, p 126)

Nous atteignons la salle de lecture principale, lieu apaisant par sa fraîcheur. Le mobilier des années 1950 ne présente pas grand charme ; au fond, un buste de Garibaldi est encadré par une monumentale fresque baroque. L’homme de l’escalier refait son apparition, revenu sur ses pas suite à ce croisement furtif.

Il vient à nous timidement, commence par expliquer dans un anglais très correct la signification de cette fresque ; elle représente François-Xavier, cofondateur de la compagnie de Jésus avec Ignace de Loyola. Le missionnaire s’était rendu cette fois-là auprès du souverain du royaume de Bongo – dont les traits asiatiques sur la fresque contredisent mon idée que cette contrée se trouve quelque part en Afrique.

Avec précaution et une forme de bienveillance quelque peu maladroite, l’homme de l’escalier, employé du lieu, s’improvise comme notre guide. Il nous fait accéder à l’impressionnant magasin de la bibliothèque, réparti sur cinq niveaux superposés. D’où l’on se trouve, au deuxième ou au troisième étage, je peux voir, sous mes pieds et au-dessus de ma tête, les étages supérieurs et inférieurs grâce au sol strié d’ouvertures. Je me promène un peu dans les rayonnages, conclut très empiriquement que le fond est particulièrement riche.

Le bibliothécaire nous mène ensuite dans la plus vieille salle du bâtiment, le bois sculpté en impose. Une foule d’ouvrages religieux est rassemblée dans cette pièce monumentale ; certaines tranches laissent supposer qu’elle recèle  des livres manuscrits. Auprès de notre  guide, nous nous étonnons de la chaleur qui règne dans cet endroit, s’inquiétant pour la conservation des précieux volumes. Il nous répond avec un air contrit que les moyens manquent, mais qu’un transfert est à l’étude. Il nous conduit enfin à la salle du catalogue, les lourds meubles métalliques avec leurs tiroirs contenant des milliers de petites fiches cartonnées sont d’une désuétude assez délicieuse. Les remerciements sont chaleureux, le bibliothécaire aux lunettes cerclées d’or s’efface, nous laisse en compagnie d’une collègue parfaitement francophone. Quelques brefs échanges avec elle, avant de prendre congé de la Biblioteca universitaria de Gênes.


Avant l’après

23 décembre 2012

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Raphaël Meltz, Suburbs II, Ports industriels:

Regardez la forme des montagnes derrière: ce sont les mêmes, nous sommes donc en présence de ces bonnes vieilles photos AVANT / APRÈS à un siècle environ de distance, mais c’est tout à fait involontaire puisque j’ai découvert l’avant bien après avoir pris l’après.

À la fin du mois d’août dernier, je me promenais avec Arnau Thée et une belle jeune femme blonde sur le port de Gênes, sans doute l’un des rares d’Europe où l’on puisse encore, un dimanche matin, passer outre les barrières de sécurité et les portails grillagés pour errer sur les quais vides, parmi les blocs de conteneurs apparemment oubliés.

Du haut du bas de l’ancien phare, la Lanterne, j’ai pris ce cliché de la baie, des montagnes, de cette ville merveilleuse rassemblée à leurs pieds, et de retour à la pensione de la vieille ville, je me suis aperçu que cette photo, comme un hommage inconscient, était à peu de choses près la même que celle que Raphaël Meltz avait prise quelques mois plus tôt

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du même et tyrannique point de vue. On trouve cette dernière image dans le Tigre d’avril 2012, au cours du deuxième épisode de sa série sur Gênes dont la lecture accompagnait nos pas depuis plusieurs jours, si bien que pour ma part, je ne peux qu’admettre l’avoir vue « avant l’après », de même que celle-ci

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que Raphaël Meltz, guidé par la pulsion archéologique qui anime la plupart de ses récits, place à l’inverse dans l’ordre de ses découvertes.

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Au début du mois de décembre, j’ai reçu mon Tigre avec un peu de retard, ce qui a ravivé mes craintes de voir disparaitre ma revue préférée. L’éditorial les a confirmées, évoquant à nouveau, comme au mois de décembre 2011, des problèmes de trésorerie.

Le Tigre est un magnifique magazine, exempt de publicités rémunératrices (mais pas de publicités). Il ne peut survivre que grâce aux contributions de ses lecteurs.

Images: Le port de Gênes, par Romain Bonnaud, 19 août 2012; Le port de Gênes, par Raphaël Meltz, 2012; Le port de Gênes, agence Rol, 1922.