Accélération (4): décélérations

7 novembre 2010

Voici douze ralentis, pauses, sorties de piste. Des moments et des mouvements suspendus hors du temps que j’ai trouvés chez W. G. Sebald et quelques autres, comme c’est la règle sur ce blog. Je laisse aux plus joueurs le plaisir d’identifier les auteurs et les oeuvres :

Ralenti 1

Les morts n’étaient-ils pas hors du temps ? Les mourants ? Les malades alités chez eux ou dans les hôpitaux.

Ralenti 2

Ce qui est certain, c’est que jamais plus je ne me suis reposé de cette façon, les pieds obscènement posés par terre, les bras sur le guidon et sur les bras la tête, abandonnée et brimbalante. C’était en effet un triste spectacle, et un triste exemple, pour les citadins, qui ont tellement besoin d’être encouragés, dans leur dur labeur, et de ne voir autour d’eux que des manifestations de force, de joie et de cran, sans quoi ils seraient capables de s’effondrer, en fin de journée, et de rouler par terre.

Ralenti 3

Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu ? Ah, où sont-ils, les flâneurs d’antan ? Où sont-ils, ces héros fainéants des chansons populaires, ces vagabonds qui trainent d’un moulin à l’autre et dorment à la belle étoile ? Ont-ils disparu avec les chemins champêtres, avec les prairies et les clairières, avec la nature ?

Ralenti 4

C’est qu’aujourd’hui encore et, à y regarder de près, aujourd’hui surtout, quiconque voyage à pied, à moins de correspondre à l’image de l’estivant randonneur, suscite immédiatement la méfiance des habitants de la localité où il vient à passer.

Ralenti 5

Dès lors il me parut impossible de ne pas contempler le fleuve roulant ses eaux lourdes dans le crépuscule, les péniches en apparence immobiles, enfoncées jusqu’au ras de la ligne de flottaison, les arbres et les fourrés sur l’autre rive, les fines hachures verticales striant les vignobles (…)

Ralenti 6

Il fallut un certain temps pour que mes yeux s’accoutument de nouveau à la douce pénombre et que je puisse voir le bateau qui s’était avancé au milieu de l’incendie et à présent mettait le cap sur le port de ****, si lentement qu’on pouvait croire qu’il ne bougeait pas. C’était un grand yacht à cinq mâts, qui ne laissait pas la moindre trace sur l’eau immobile. Il était tout au bord de l’immobilité et pourtant il avançait aussi inéluctablement que la grande aiguille d’une horloge.

Ralenti 7

A Smederevo, là-bas derrière le fort au bord du fleuve que les Allemands avaient à demi fait sauter pendant la Seconde Guerre mondiale, pas un bruit ne parvenait de l’eau lumineuse et spacieuse qui pourtant coulait rapidement ; pendant toute l’heure sur la rive pas le moindre glougloutement, pas le moindre gargouillement, aucun bruit.

Ralenti 8

Malachio coupa le moteur. Le bateau roulait au gré des vagues et un long temps, me sembla-t-il, s’écoula. A nos yeux s’offrait l’éclat déclinant de notre monde, une vue dont on ne se laissait pas de se repaître, le spectacle d’une ville céleste. Le miracle de la vie née du carbone, entendis-je dire Malachio, part en flammes.

Ralenti 9

Comme flottant entre deux eaux, à la façon de quelque monstre marin aveugle et très vieux, quelque cétacé blanchi émergeant de la préhistoire, vaguement phallique, son avant aux contours imprécis est apparu, sortant lentement des ténèbres au milieu des rafales de neige (…)

Ralenti 10

On entendait au loin la rumeur étouffée de la ville et dans le ciel le grondement des gros avions qui à une minute d’intervalle apparaissaient au  nord-ouest à la hauteur de Greenwich et planaient très bas, incroyablement lents, me semblait-il, pour disparaître vers l’ouest en direction de Heathrow.  Tels des monstres retournant le soir à leurs tanières ils restaient suspendus au-dessus de nos têtes dans l’air qui s’assombrissait, les ailes écartées du corps, comme tétanisées.

Ralenti 11

Juste à l’extérieur du périmètre de l’aéroport, il s’en fallut d’un cheveu que je ne quitte la route en voyant s’élever lourdement, tel un monstre préhistorique, un Jumbo au ras de la véritable montagne d’ordures accumulées à cet endroit. Il laissait échapper derrière lui une trainée de fumée noirâtre et un instant j’eus l’impression qu’il avait battu des ailes.

Ralenti 12

Il semblait qu’on glissât tout naturellement sur cette large chaussée. Les dépassements, si tant est qu’ils eussent lieu étant donné les infimes différences de vitesse, s’effectuaient avec une lenteur telle que, avançant ou reculant pouce par pouce, on devenait pour ainsi dire une connaissance de voyage du conducteur sur la file d’à côté.

Ces derniers extraits, où la plus grande vitesse donne l’impression de la plus grande inertie, me font penser aux remarques de Marc Desportes dans Paysages en mouvement: les moyens de transports modernes (trains, automobile, avions…) ont poussé le regard à se porter au loin, vers un arrière-plan de plus en plus panoramique, de plus en plus stable, de plus en plus immobile en comparaison du premier qui, pendant ce temps, file à toute vitesse et échappe à l’œil humain.

Ils me rappellent aussi que parmi les cinq formes de décélérations identifiées par Hartmut Rosa dans Accélération, la plus paradoxale, même si ce n’est pas la mieux étayée, est celle qui relève de la « pétrification culturelle et structurelle », principe selon lequel la vitesse des changements dans nos « sociétés modernes avancées » n’est que le masque de l’immobilité et de l’absence d’avenir.

Images: Photogramme tiré de L’emploi du temps de Laurent Cantet (2001); La lagune de Venise et les cheminées de Mestre, photographie Romain Bonnaud; Photographie tirée de Vertigo; Le long de la Metro North Railroad, entre New York et Beacon, par Romain Bonnaud.

Accélération (3): contre la montre

16 octobre 2010

W. G. Sebald, Austerlitz, p.19

De la position centrale occupée par l’horloge on pouvait, dit Austerlitz, surveiller les mouvements de tous les voyageurs, et à l’inverse les voyageurs devaient lever les yeux vers l’horloge et se voyaient contraints pour tous leurs faits et gestes de se plier à sa volonté.

Hartmut Rosa, Accélération, p.45

On peut donc postuler sans risque que la date de naissance de la modernité fut celle où se produisit l’émancipation du temps vis-à-vis de l’espace, qui est à l’origine du processus d’accélération. Par l’invention de l’horloge mécanique et plus tard du temps conventionnel, le temps s’émancipe du lieu – on peut désormais l’indiquer indépendamment d’un lieu défini.

W. G. Sebald, Austerlitz, p.15-16

… une impressionnante horloge au cadran jadis doré, noirci à présent par la fumée de tabac et la suie du chemin de fer, sur lequel se déplaçait une aiguille d’environ six pieds. Pendant les pauses de notre discussion, nous prenions l’un et l’autre la mesure du temps infini que mettait à s’écouler une seule minute, et nous étions chaque fois effrayés, bien que ce ne fût pas une surprise, par la saccade de cette aiguille pareille au glaive de la justice qui arrachait à l’avenir la soixantième partie d’une heure puis tremblait encore une fraction de seconde, lourde d’une menace qui nous glaçait presque les sangs.

Il est bientôt minuit mais ce n’est que l’aube du récit. Au buffet presque vide de la gare d’Anvers, Jacques Austerlitz peint un tableau des temps modernes dont le lecteur et le narrateur peinent encore à voir s’il s’agit d’une ode au progrès ou de sa condamnation sans appel.  L’horloge, déesse supérieure du panthéon exposé à l’intérieur de la salle des pas perdus, apparaît grandiose et monstrueuse. Elle dit la nouvelle norme, elle condamne, elle récompense.

L’admiration mêlée de crainte qu’on lit dans ce passage rappelle les analyses de Karl Marx et, un siècle plus tard, d’Edward Palmer Thompson. Tous deux considéraient l’horloge à la fois comme une innovation fantastique et comme l’outil d’aliénation le plus efficace du capitalisme industriel. C’est elle en effet qui a vidé progressivement le temps de ses qualités naturelles et culturelles (nuits et jours, saisons, fêtes…), qui lui a enlevé de son épaisseur, de sa rugosité, et imposé l’heure abstraite, délocalisable, rentable, la formule pleine de promesses et de menaces: Time is money.

Dans son célèbre article de 1967, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, Thompson souligne l’ambiguïté des rapports qu’ont entretenu patrons et ouvriers, dès les premières ébauches d’industrialisation, avec ces objets et ces temps nouveaux.

A la suite de ses travaux sur le luddisme et de son grand œuvre, La Formation de la classe ouvrière anglaise, il donne de multiples exemples de résistances à la nouvelle discipline horaire (de la Saint-Lundi à la grève du zèle), expressions de l’économie morale qu’une bonne partie du peuple opposait alors à l’économie politique, de plus en plus en faveur, quant à elle, auprès des élites de l’île de Grande-Bretagne. Spectateur engagé de cet affrontement, Thompson ne cache pas ses sympathies. Lui-même n’était d’ailleurs pas loin de considérer le temps des horloges capitalistes comme véritablement contre-nature et certaines de ses lignes, portées par une fougue peu historienne, laissent deviner la nostalgie et l’espoir

d’une Arcadie,

d’un Age d’or

E.P Thompson, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, p.52

Lorsque les hommes avaient le contrôle de leur vie professionnelle, leur temps de travail oscillait donc entre d’intenses périodes de labeur et d’oisiveté. (Organisation que l’on retrouve au demeurant aujourd’hui chez les travailleurs indépendants – artistes, écrivains, petits fermiers, et sans doute aussi chez les étudiants -, ce qui porterait à se demander si ce n’est pas là le rythme de travail « naturel » pour l’homme.)

Dans le même article, il montre cependant que les choses ne furent pas toujours si simples ni l’avant-garde si combative.

p.49

(à la fin du dix-neuvième siècle) c’était la double chaîne de montre en or qui symbolisait la réussite du dirigeant syndical travailliste-libéral et, en récompense de cinquante années de servitude disciplinée dans le travail, l’employeur éclairé offrait à son employé une montre en or gravé à ses initiales.

Le constat est amer. La victoire de l’horloge fut semble-t-il totale, à peine tempérée (en réalité sanctionnée) par le changement de stratégie syndicale, quand « les ouvriers commencèrent à lutter non contre le temps, mais à propos du temps », ou par d’improbables et ponctuels renversements d’alliance, quand la montre a pu devenir l’alliée objective des travailleurs, tandis que le temps « naturel » servait les intérêts du patron.

p.71

Un témoin qui travaillait « à la filature de M. Braid » déclare ainsi :

« En été, nous travaillions aussi longtemps que le jour nous permettait d’y voir, et je serais bien incapable de dire à quelle heure nous arrêtions. Mis à part le patron et son fils, personne n’avait de montre, et nous ne savions pas quelle heure il était. Il y avait un homme qui avait une montre… Elle lui fut confisquée et resta sous la garde du patron, parce qu’il avait dit l’heure à ses collègues. »

A lire Accélération, on s’aperçoit que la politique de cette petite entreprise du siècle des Lumières anticipait en fait notre présent et notre futur. Aux yeux du capitalisme « avancé » (plutôt qu’éclairé), c’est aujourd’hui l’horloge qui ralentit le mouvement.

Accélération, p.209

Il est ainsi de plus en plus fréquent que le travail ne prenne pas fin lorsque l’horloge affiche cinq heures, ou que le calendrier signale le début du week-end, mais lorsque la tâche fixée est accomplie – ce qui signifie, en général, qu’on a tenu le délai imparti, ou que l’on a réalisé le « projet ». C’est ainsi que l’on voit aujourd’hui des entreprises – y compris des entreprises de production traditionnelles – se débarrasser de leurs horloges et de leurs pointeuses, voire renoncer aux contrôles de présence, ce qui constitue une révolution inconcevable aux yeux de la sociologie d’inspiration marxiste.

Sa disparition ne saurait donc réjouir les contempteurs de la pointeuse : il s’agit bien d’une fausse victoire, et tardive, de l’homme sur la mécanique glacée. Et ce serait une plus grave erreur encore de croire, comme parait y incliner Thompson, à un retour du bon vieux système « orienté par la tâche », dont les horaires se plieraient « naturellement » au rythme de la communauté et aux exigences du travail bien fait. Si « tâche » il y a toujours, elle s’effectue à présent dans un temps sans qualité, mais quantifiable, et tout entier mobilisable.  Là où le travailleur pré-industriel disposait dans son environnement immédiat de toute une série de digues encadrant son labeur quotidien, le salarié contemporain ne trouve qu’incitations à (et outils pour) déborder. Le capitalisme, passé de l’industriel au tertiaire, est bien en train de gagner sur les deux tableaux.

Où l’on découvre, un brin gêné, que, comme beaucoup d’institutions modernes qu’on s’est plu à détester, l’horloge nous protégeait peut-être de l’accélération. En surveillant l’assiduité des uns, elle réfrénait les appétits des autres, et offrait un terrain d’affrontement stable, aux règles claires.

Un espace de liberté à conquérir hors du travail.

Certains artistes ont moins de scrupules et plus d’ambition que les sociologues plus ou moins marxistes dont parle Hartmut Rosa. Refusant avec le même dédain superbe la peste de la modernité classique et le choléra de la modernité avancée, ils préfèrent tout bonnement échapper au temps, rester à quai.

La tentation d’une uchronie au sens propre – le désir d’un non-temps, d’une sortie du temps – est vieille comme l’art, et c’est un motif récurrent chez  Sebald, dont on trouve des déclinaisons particulièrement frappantes dans certains passages d’Austerlitz.

Par exemple: quelques dizaines de pages et d’années après la discussion d’Anvers, où déjà les aiguilles de l’horloge, « lourdes de menaces » rappelaient les ciseaux de la Parque, les deux personnages se retrouvent à Greenwich, au lieu précis où le processus d’uniformisation des temps du monde s’est clos, en 1884. Là, au dernier étage de l’observatoire royal, après avoir longuement contemplé les « instruments de mesures et d’observation artistement ouvragés »,  puis s’être livré à l’éloge de la pièce octogonale « idéale selon ses critères » où ils devisent tranquillement (seulement troublés un instant par un Japonais véloce échappé de son groupe), Jacques se livre soudain à une diatribe d’une vigueur surprenante où la lucidité le dispute à l’aveuglement, et dans laquelle il réduit à néant notre obsession de la maîtrise du temps, notre  vaine prétention à sa mesure, tout en désignant au loin l’horizon d’une impossible révolte.

Austerlitz, p.122

Le temps, dit-il dans le cabinet aux étoiles de Greenwich, le temps était de toutes nos inventions de loin la plus artificielle et, lié aux étoiles tournant autour de leur axe, il n’était pas moins arbitraire que s’il eût été calculé à partir des cernes de croissance des arbres ou de la durée que met un calcaire à se désagréger ;

p.124

De fait, dit Austerlitz, je n’ai jamais possédé d’heure, ni de régulateur ni de réveil, ni de gousset, ni encore moins de montre-bracelet. Avoir l’heure m’a toujours paru quelque chose de ridicule, de fondamentalement mensonger, peut-être parce qu’une nécessité interne que je n’ai jamais réussi à comprendre m’a toujours fait regimber contre le pouvoir du temps et me tenir à l’écart de ce qu’on a coutume d’appeler l’actualité.

Dans un tout autre genre, mais exactement à la même page cent vingt-quatre (!), j’ai lu récemment une dé-monstration (si j’ose dire) de même nature, chez Jean Echenoz.

Quoiqu’en délicatesse avec les horloges depuis sa naissance, dont l’heure fut aussi douteuse que celle de la conception de Tristram Shandy, son orgueilleux Gregor (a.k.a Nicolas Tesla, qui fut soit dit en passant l’inventeur malheureux de la plupart des outils de l’accélération) leur maintient néanmoins sa confiance au milieu de toutes ses déconvenues, faisant même de sa montre un usage de plus en plus compulsif à mesure que la pente de son déclin raidit.  Fidélité touchante mais de pure perte, qui ne l’empêche pas – on s’en doutait un peu – de vieillir, et de se heurter à peu près aux mêmes conclusions qu’Austerlitz :

Des éclairs, p.124

Avec tout ça, qui est allé vite comme toute sa vie, Gregor va sur ses cinquante-cinq ans. On ne se rend jamais vraiment compte à quel point c’est rapide alors que les journées trainent en longueur et que les après-midi sont interminables. On se retrouve doté d’un certain âge sans avoir bien compris comment, même si comme Gregor on consulte sa montre tout le temps, même si celle-là ne donne qu’une idée imparfaite, tendancieuse et pour tout dire fausse de celui-ci.

Qu’en faire ? la jeter au rebut, la gager au prêteur, la laisser tourner bêtement ?

L’arrêter sans remord, briser sa mécanique.

Tiphaine Samoyault a consacré un livre entier (1) à cette dernière solution, dont les variations sont exposées au fil d’un plan métaphorique de soixante courtes séquences regroupées dans quatre parties construites comme autant de « quarts d’heure ». D’où il ressort que si l’image de la montre cassée revient avec une telle régularité, depuis le dix-huitième siècle, dans tant de romans, de poèmes, tant de tableaux, de films, ou d’installations diverses, c’est sans doute que les artistes modernes, un peu à la manière des enfants, ont fini par se demander ce qu’un tel écrin recelait: l’instant exact auquel nous sommes parvenus ou la perspective de notre fin prochaine?

J’ai trouvé une réponse à la question dans un coin de ce jardin foisonnant, nichée dans une citation de citation, parmi les dizaines d’extraits disponibles, eux-mêmes puisés dans la bonne centaine d’œuvres rassemblées par T. Samoyault.

C’est un vers sans appel, sec comme comme un coup de faux

Dans les montres se cache la mort

du poète italien Giuseppe Gioacchino Belli (1791-1863).

Note:
(1) La montre cassée, Verdier, 2004
Images:
Affiches syndicales française, anglaises, australienne, russe, datant de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et du début du vingtième. Le mouvement pour la réduction de la journée de travail à 8 heures a été lancé vers 1850 et a aboutit à leur généralisation en Europe et aux Etats-Unis après la Première Guerre mondiale; l’An 01, film de Gébé, Jacques Doillon, Jean Rouch, Alain Resnais, 1973.

Accélération (2): qu’est-ce que j’peux faire?

27 septembre 2010

Thomas Mann, La Montagne magique, p.120-121

Sur la nature de l’ennui, des conceptions erronées sont répandues. On croit en somme que la nouveauté et le caractère intéressant de son contenu font « passer le temps », c’est-à-dire : l’abrègent, tandis que la monotonie et le vide alourdiraient son cours. Mais ce n’est pas absolument exact. Le vide et la monotonie allongent sans doute parfois l’instant  ou l’heure et les rendent « ennuyeux », mais ils abrègent et accélèrent, jusqu’à presque les réduire à néant, les grandes et les plus grandes quantités de temps. Au contraire, un contenu riche et intéressant est sans doute capable d’abréger une heure, ou même une journée, mais, compté en grand, il prête au cours du temps de l’ampleur, du poids, de la solidité, de telle sorte que les années riches en événements passent beaucoup plus lentement que ces années pauvres, vides et légères que le vent balaye et qui s’envolent.

(Livre de Poche, traduction de Maurice Betz)

Hartmut Rosa, Accélération, p.175

Ce phénomène bien connu sous l’expression de « paradoxe du temps subjectif » s’explique aisément : les épisodes de vécu ressentis comme intéressants laissent des traces mémorielles plus fortes que les épisodes « ennuyeux », leur contenu mémoriel plus riche est donc interprété comme une extension du temps remémoré et inversement.

En revanche, un autre phénomène que je propose, à la suite des remarques d’A. Barth, de désigner comme « paradoxe de la télévision », est bien moins étudié. Il montre que le temps passé devant la télévision (par exemple, devant une série policière) présente, pendant que l’on regarde, toutes les caractéristiques du temps vécu bref (grande densité de stimuli, implication émotionnelle, élévation du pouls, de la pression sanguine lorsque l’assassin entre en scène ou que le buteur s’apprête à tirer un penalty, et sentiment du temps qui « fuit à tire-d’aile ») pour se transformer, dès que l’on a éteint le téléviseur, et à plus forte raison dans les remémorations, en expérience vécue du temps long : « il n’en reste plus rien », le temps du souvenir s’amenuise rapidement, ce qui explique pourquoi les sujets font état, une fois l’émission terminée, d’un sentiment de « grand vide » (…)

La télévision semble donc avoir tendance à produire, face aux modèles de l’expérience vécue du temps « traditionnelle », un modèle bref-bref inédit et paradoxal, même si ce n’est pas toujours le cas.

(La Découverte, traduction par Didier Renault)

De leur Zauberberg à la vue imprenable sur la matière temporelle, Hans Castorp et ses compagnons se livrent à diverses observations et expériences dans l’espoir de percer le mystère de la durée, cependant qu’au même moment, dans la vie réelle, des savants et artistes de toutes sortes (les frères James, Bergson, Einstein, Joyce, Proust, Delaunay, Duchamp, les futuristes, etc.) examinent eux aussi dans le plus grand détail ce qu’il en est du passé, de l’avenir, et surtout du présent, qui commence alors à prendre pas mal d’épaisseur.

Dans son étude sur le sujet et sur ces auteurs – The Culture of Time and Space (1880-1918)Stephen Kern relève même qu’au début des années 1880, après de longues études sur la question, un certain Wilhelm Wundt avait réussi à établir la durée exacte d’un « bloc de présent »

that interval of time that can be experienced as an uninterrupted whole

Résultat : 5 secondes.

Un ambitieux (ou sceptique) de ses étudiants refit par la suite l’expérience, et la science fit un nouveau bond en avant: 12 secondes, avant que l’esprit humain prenne conscience qu’il passe à « autre chose ». Mais quoi?

Bel élan de positivisme fin de siècle en tout cas, dont on sait maintenant qu’il a peu duré.

Le ciel s’est assombri en une trentaine d’années.

Quand Thomas Mann formule son paradoxe, l’Europe connait une de ses crises de conscience les plus aiguës, et le soleil se couche déjà sur le « monde d’hier ». Le projet de la Montagne magique est né peu avant 1914, le roman fut écrit pendant le premier conflit mondial, et publié quelques années après (1924). L’écrivain connaît la fin de l’histoire et se doute que tout n’est pas terminé : les malades du Berghof attendent la mort comme l’Europe attend la guerre. Pour la première fois depuis l’ère des révolutions, la flèche du temps semble pousser les masses non plus vers un avenir radieux, mais à la catastrophe.

Curieuses, les années d’apprentissage du jeune Castorp. C’est parce qu’il n’y a que le néant au bout que l’attente s’étire dangereusement, rythmée par les coups de thermomètre, la couverture en poil de chameau, les repas dans la grande salle, les morts, les discussions sans fin.

Revers rétrospectif de l’expérience : si l’ennui ne laisse aucune trace dans le souvenir, si, comme l’écrit encore Thomas Mann

lorsqu’un jour est pareil à tous, ils ne forment tous qu’un seul jour

et puisque

dans une uniformité parfaite, la vie la plus longue serait ressentie comme très brève, et serait passée en un tournemain

alors c’est le signe que le cours des choses s’accélère, et c’est dans cette monotone immobilité que le petit monde du sanatorium galope vers sa fin.

Entre l’ennui et la guerre les hommes ont choisi la guerre, et on connaît la suite. Virginia Woolf écrivait dans son journal, un soir de septembre 1939 : « je note que la violence est bien la chose la plus inintéressante ».

Les temps ont changé, et avec eux les paradoxes. Le modèle dit « bref-bref » correspond au passage à une modernité avancée où l’innovation s’emballe, met sans cesse à disposition de nouveaux outils, de nouveaux objets, et propose toujours plus de nouveaux « contenus » ; riche période où des changements sociaux de plus en plus rapides, et à grande échelle, provoquent des crises toujours plus inédites les unes que les autres. Pendant ce temps, les dernières minutes de notre quotidien pacifié sont vidées par la multiplication des  activités requérant un faible investissement intellectuel (input), mais procurant les satisfactions immédiates de plus en plus grandes (output).

Que vivons-nous, de plus en plus souvent (« même si, dit Harmut Rosa,

ce n’est pas toujours le cas »)?

Des moments intenses, en rafale; des instantanés déconnectés les uns des autres; des tranches de « vécu » décontextualisées, inaptes à former un terreau, donner sa  forme à une vie, s’inscrire dans ce que Walter Benjamin appelait une « expérience ». Et que le mot « expérience » soit aujourd’hui utilisé à tort et à travers dans des réclames de toutes sortes ne change rien à l’affaire, au contraire. Le vide est notre seul horizon.

Comme à son habitude, Thomas Bernhard avait résumé tout cela mieux que tout le monde

Nous avons le vertige et nous avons froid. Nous avons cru qu’étant des hommes, nous allions perdre l’équilibre, mais nous n’avons pas perdu l’équilibre; et nous avons fait ce que nous pouvions pour ne pas mourir de froid.

(Mes prix littéraires, Gallimard, p.139, traduction par Daniel Mirsky)

C’était en 1965, l’année de Pierrot le fou, au milieu d’un discours lapidaire – littéralement – prononcé devant les représentants de la « Ville hanséatique libre de Brême », qu’on imagine médusés.


Accélération (1): on n’arrête pas le progrès

22 septembre 2010

Hartmut Rosa, Accélération, p.297

Ce qui est frappant, dans un grand nombre d’enquêtes de psychologie sociale et de sociologie, c’est la contradiction éclatante entre un gain manifeste de souveraineté sur le temps dans la pratique quotidienne, et le sentiment simultané d’une perte d’autonomie et de contrôle de sa propre vie. Cette contradiction résulte d’une situation paradoxale : la vie du sujet doit être d’une par, à court, moyen, long terme, plus planifiée et activement menée qu’auparavant si l’on veut maintenir l’exigence d’autonomie, parce que l’orientation en fonction de biographies normales et de parcours de vie standardisés s’est érodée, et que la structure de contenus et la structure temporelle de la vie se sont ouvertes ; d’autre part, cette organisation à long terme est entravée, si ce n’est bloquée, par une dynamisation sociale croissante. Il devient donc « de plus en plus nécessaire de planifier et de décider d’avance l’implanifiable, l’imprévisible, l’indécidable. En d’autres termes : on peut de moins en moins, alors qu’on doit de plus en plus souvent, formuler maintenant le passé et le futur. » De cette quadrature du cercle, la seule issue semble celle du renoncement à l’autonomie, et l’évasion dans un nouveau ou un « second » fatalisme (…)

(La Découverte, traduction par Didier Renault)

Robert Musil, L’Homme sans qualités, p.188

Les hommes étaient semblables à des épis dans un champs, ils étaient plus violemment secoués qu’aujourd’hui par Dieu, la grêle, l’incendie, la peste et la guerre, mais c’était dans l’ensemble, municipalement, nationalement, c’était en tant que champ, et ce qui restait à l’épi isolé de mouvements personnels était quelque chose de clairement défini dont on pouvait aisément prendre la responsabilité. De nos jours au contraire, le centre de gravité de la responsabilité n’est plus en l’homme, mais dans les rapports des choses entre elles. »

(Points Seuil. Traduction de Philippe Jaccottet. Le passage est cité par Rosa, p.304, mais curieusement amputé, et mélangé à un texte d’Alain Ehrenberg)

Dans Accélération, une critique sociale du temps, Hartmut Rosa identifie les manifestations et les origines de la raréfaction du temps disponible, phénomène d’autant plus paradoxal que jamais les technologies nous permettant d’accomplir plus rapidement la plupart de nos tâches quotidiennes n’ont paru aussi puissantes et accessibles. Paradoxe apparent: l’ouvrage démontre que les trois formes de l’accélération (technique, du changement social, des rythmes de vie) se nourrissent l’une l’autre, forment un système clos, et que c’est ce système, lui-même en perpétuelle accélération, qui provoque la pénurie de temps et le sentiment d’être sans cesse débordé.

La thèse est cohérente, la démonstration limpide, malgré – ou à cause – des répétitions. Le philosophe/sociologue remplit le contrat du philosophe/sociologue : rendre plus clair ce que l’on perçoit de manière confuse, donner un sens à l’expérience.

On trouve cependant quelques bizarreries.

Ce genre de courbe (ici: « Croissance exponentielle résultant de l’accélération pour des processus constants ») dont il est assez difficile de dire si elle est juste ou fausse, tant son fondement empirique paraît incertain.

Ces cartes, empruntées à David Harvey, censées représenter le « rétrécissement de l’espace à travers l’accélération du transport ». Le plus épais des géographes les trouverait grossières, alors qu’une anamorphose ou des courbes isochrones auraient sans doute été plus parlantes. Elles auraient surtout permis de voir que l’accélération ne se fait pas sentir partout avec la même intensité.

(ci-dessous, par exemple, une carte (CNRS) montre qu’à l’horizon 2015 le « rétrécissement » de l’Europe grâce au réseau TGV sera pour le moins inégal)

Mais d’inégalités, il est peu question. Étrange pour un sociologue. Rosa pense que nous sommes tous, quelle que soit notre position sociale, embarqués sur le même bateau. Dommage, il y a quand même beaucoup de CSP+ sur son bateau : est-ce vraiment un souci devenu universel celui de gérer ses rendez-vous professionnels à la seconde près ? de découvrir sa boîte mail débordant de messages urgents après un week-end off en Forêt Noire ? Que faire ? : préparer un cours ? rédiger un article ? écrire un livre ?

Le multitasking n’est-il pas une préoccupation bourgeoise?

L’objection est balayée: les forces de l’accélération agissent « par-delà les frontières de classe », dit Rosa (page 210). Dont acte, mais ce n’est pas parce qu’un phénomène s’impose à tout le monde qu’il s’impose à tout le monde de la même manière. Comment l’accélération fait sentir ses effets différenciés selon qu’on est universitaire ou caissière, retraité ou actif, rural ou urbain, voilà un angle mort qu’il aurait été passionnant de scruter. Une autre fois, peut-être un autre auteur.

Il n’empêche, de nombreux chercheurs rivalisent depuis longtemps pour trouver le concept-clé de notre contemporain (société « des individus » (Elias), « du risque » (Beck),  « de la reconnaissance » (Honeth), « liquide » (Bauman)…). L’entrée par la variable « temps » à ceci de fructueux qu’en examinant l’actualité sociologique et historique d’une des deux dimensions fondamentales de l’expérience (avec l’espace), elle englobe tous ses concurrents sans pour autant les rendre obsolètes. Mettant à jour le travail de Reinhart Koselleck, qui avait formulé le passage à la modernité classique à travers le changement de régime d’historicité (mais Hartog est inconnu au bataillon), reprenant aussi, parfois pour les dépasser, les analyses de Marx, de Benjamin, d’Adorno et Horkheimer, Rosa montre comment l’accélération a franchi une nouvelle étape au cours du vingtième siècle et pourquoi, en faisant passer la modernité à un nouveau stade, elle met en péril son projet émancipateur.

Héritier de la théorie critique, l’ouvrage pointe une contradiction inhérente au projet des Lumières, la dialectique du progrès qui se retourne contre lui-même.

En ouvrant la fin de l’histoire humaine, qui ne se termine plus par une apocalypse commune, la modernité « classique » l’a aussi individualisée, et tracé la voie à sa catastrophique version « avancée ». Si l’on n’est plus pressé de trouver une place au paradis ou d’éviter l’enfer, il faut désormais réussir sa vie, suivre le rythme, ne rien manquer, comme un tennisman au filet, alors même que les possibilités offertes se multiplient bien plus vite que les moyens dont disposent les individus et les institutions démocratiques de les réaliser.

Le temps n’est plus à la mélancolie qui frappait les grands hommes affligés par l’idée que tout passe et trépasse,

mais à la neurasthénie, maladie de l’individu démocratique à qui il paraît vain d’agir quand tout est possible.

Cette « désynchronisation » (se tenir sur des « pentes qui s’éboulent ») est source de pathologies bien contemporaines : dépression, mise en cause des procédures et des acteurs démocratiques, atonie politique. Un « second fatalisme » chasse l’autre, dont on peut repérer les effets dans bien des comportements qui rappellent l’immobilité stupide de la victime face à son bourreau, le temps, lui-même pétrifié par l’imprévisibilité croissante.

Robert Musil, qui connut ce genre de crise peu avant ses cinquante ans, avait un mot pour cela :  « amorphisme » (1), la dissolution du sujet née de la terreur d’agir. Dans l’Homme sans qualité, Walter s’insurge contre la supposée instabilité de toute chose

Nous finissons par ne plus flotter que sur des rapports, des réactions, sur l’eau de vaisselle des réactions et des formules, sur quelque chose dont on se demande si c’est un objet, un processus, un fantôme de pensée, un Dieu-sait-quoi ?

et dessine à Clarisse un autre possible, moins frénétique.

ce dont nous avons tous besoin aujourd’hui avant tout, c’est de simplicité, de santé, de contact avec la terre et aussi, sans aucun doute, quoique tu puisses dire, d’un enfant, parce que ce sont les enfants qui vous donnent des racines. Tout ce qu’Ulo te raconte est inhumain. Je t’assure que moi, quand je rentre à la maison, j’ai vraiment, je possède vraiment le courage de prendre simplement le café avec toi, d’écouter les oiseaux, de faire une petite promenade, d’échanger quelques mots avec les voisins et de laisser tranquillement le jour s’éteindre : voilà ce qu’est la vie humaine !

(p.84)

Le personnage principal du roman, Ulrich, suit un chemin opposé. Il se laisse porter en toute conscience par le courant, absorber par le contexte, dépouiller de qualités qui, nolens volens, ne  seront jamais assez authentiques et personnelles à ses yeux. Il vaut mieux, dit-il, se déprendre avec joie (extase du parieur, quiétude du flâneur) d’un idéal de stabilité qui ne peut qu’être ruiné par la suite des évènements. « Solution » elle-même provisoire et incomplète, qui peut aussi se révéler désastreuse quand ce ne sont plus des individus conscients, mais des masses en transe qui se jettent à corps perdu dans l’événement. Musil sait ce qu’il en est. Il a fait la Grande Guerre, et garde en mémoire l’ivresse des foules aux premiers jours d’août 1914.

Écoutez l’enthousiasme du jeune Jünger, encore intact après les premiers assauts. Orages d’acier :

A droite, à gauche, des obus martelaient le sol meuble ; de lourds branchages s’abattaient. Au milieu du chemin, un cheval gisait mort, avec d’énormes blessures, ses entrailles fumantes auprès de lui. Parmi ces images sanglantes, il régnait une gaieté sauvage, inconnue.

(Pléiade, p.20, traduction par Henri Plard, révisée par Julien Hervier)

L’inachèvement de l’Homme sans qualités est une leçon, sinon un échec. L’homme moderne est toujours frustré de ses désirs d’autonomie. L’artiste inapte à enfermer la diversité mouvante de la vie moderne dans la totalité close d’une œuvre (2).

Rosa n’est pas beaucoup plus optimiste, puisqu’il estime que la plupart des tentatives de « décélération » sont soit de fausses sorties qui ne permettent que de mieux repartir (la sieste-minute, la séance de relaxation, la retraite au monastère pour cadre surmené), soit  si coûteuses qu’il devient tentant d’y renoncer (marginalité, maladie, mort).

Son livre se termine pourtant sur cette citation de Pierre Bourdieu:

Si elle est approfondie et conséquente, la sociologie ne se contente pas d’un simple constat que l’on pourrait qualifier de déterministe, de pessimiste ou de démoralisant. Et qui appelle cela déterministe devrait se rappeler qu’il fallait connaître la loi de la gravitation pour pouvoir construire les avions qui puissent justement la combattre efficacement.

Je crois (pure conjecture évidemment) que ni Bourdieu ni Musil n’auraient trouvé « la littérature » déplacée à côté (en écho) de « la sociologie ».

PS :
Il y a eu beaucoup de comptes-rendus de cet ouvrage. J’en signale deux, très clairs et plus complets que le mien: celui-ci, d’Elodie Wahl, paru sur l’excellent Liens-socio, et un autre d’Anselme Jappe, plus critique, disponible ici publié à l’origine par la Revue internationale des livres et des idées.
Je consacrerai pour ma part d’autres billets au livre, comme des percées dans ce massif, grâce à quelques confrontations littéraires.
Notes :
(1) Voir pour plus de détails le chapitre qui est consacré à cette question par Florence Vatan dans son Robert Musil et la question anthropologique, PUF, 2000. Elle cite le début du passage de Walter.
(2) Claudio Magris a consacré un recueil d’essai à cette crise de l’esprit, contemporaine de la dissolution de l’empire d’Autriche-Hongrie : L’Anneau de Clarisse, aux éditions l’Esprit des Péninsules.
Images: Duane Hanson, Supermarket Lady (1970); schémas et cartes tirés d’Accélération; Statue de cire de Lénine, photo de Sugimoto (1999);Hans Memling, le Jugement dernier (détail), 1467-1471; Statue de cire de Raphaël Nadal; Holbein, les Ambassadeurs (1533); Duane Hanson, Man on a bench (1997); La foule sur l’Odeonsplatz à Munich, le 2 août 1914. En médaillon: Hitler; Soldats de cire, Imperial War Museum de Londres; caissière et clientes de supermarché (auteur inconnu).