Jean Giono, Manosque
Il y a une telle confusion dans les esprits que, même parmi les meilleurs de ma connaissance il n’y en a plus qui sachent encre se conduire d’après les simples règles de la noblesse et de la grandeur. R. B. a été dans la camaraderie du Contadour un camarade qui me semblait capable de comprendre et d’utiliser ces règles en toutes occasions. Il était clair et assez lumineux, et si je m’inquiétais de le savoir assidu aux cours d’officiers de réserve, j’imaginais que c’était par nécessité de position sociale (il est professeur d’École normale). Ses convictions s’il les exprimait loyalement étaient pacifiques et humaines. Il n’a pas su rester intact dans l’entrecroisement des propagandes. Il m’est difficile d’imaginer que c’est le même qui est mêlé aujourd’hui à des dépôts d’armes, qui part en dissidence et distribue des mitrailleuses aux jeunes gens cachés dans son département. Je sais – si je tiens compte du souci terrible qui dévore son cœur – (son amour pour M., son fils fou) qu’il y a sans doute des excuses dans son désir de s’évader à tout prix de cette inconcevable misère de sa vie. J’espérais toutefois qu’il s’évaderait dans le sens de la hauteur.
Il y a évidemment une très grande séduction, dans notre monde moderne et machinal, à devenir brusquement le partisan d’une guerre de religion. Cela doit donner l’impression qu’on est malgré tout un être pensant. Et, après le sort qui a été fait dans les années 30-40, cela doit être d’un seul coup si tonique qu’il est difficile de résister. (…)
Paul Claudel, Brangues
Voyage en auto à Avignon pour voir ma sœur Camille. Arrivé à 7 h. Couché au prieuré à Villeneuve-lès-Avignon. Lever du soleil dans ce beau ciel du Midi. Le matin pendant 2 h. tourné autour de l’église hermétiquement fermée. 3 notes mélancoliques de la cloche. Chapelle de l’Hospice avec ces 2 grandes statues dorées dans le soleil. Vers 10 h. Montdevergues. Le directeur me dit que ses fous meurent littéralement de faim : 800 sur 2000 ! La doctoresse sage et frêle. Camille dans son lit ! une femme de 80 ans et qui en paraît bien davantage ! L’extrême décrépitude, moi qui l’ai connue enfant et jeune fille dans tout l’éclat de la beauté et du génie ! Elle me reconnaît, profondément touchée de me voir, et répète sans cesse : Mon petit Paul, mon petit Paul !! L’infirmière me dit qu’elle est en enfance. Sur cette grande figure où le front est resté superbe, génial, on voit une expression d’innocence et de bonheur. Elle est très affectueuse. Tout le monde l’aime, me dit-on. Amer, amer regret de l’avoir ainsi si longtemps abandonnée ! – Retour dans l’après-midi, sans déjeuner. Arrivée à Brangues à 4 h.
Madame Rockseth, mère de la petite Odile Rockseth, épouse de Guillaume de Van, m’écrit que « cette petite Odile a quitté son corps de mort le 21 août de cette année ». Je l’avais connue au sana de Saint-Hilaire. Privations ! Rechute.
Robert Walser, Herisau
Chère Lisa,
Je viens d’apprendre par Fanny que tu es malade, ce qui me fait de la peine. Toutefois, j’ose bien espérer que tu recouvreras la santé. Je te souhaite donc une guérison prochaine et profite de l’occasion pour te remercier chaleureusement de tout ce que tu as fait et été pour moi. Aie confiance et courage, tu te relèveras bientôt.
Avec mon fraternel salut
Robert
Ernst Jünger, Paris
Commencé la deuxième partie de L’Appel : « Le Fruit ».
Lecture : Fossiles classiques, de A. Chavan et M. Monotoccio, Paris, 1938. ce livre m’apprend que mon petit coquillage en spirale porte le nom de Cerithium tuberculosum. Le grand spécimen que j’avais trouvé près de Montmirail, dans un cratère d’obus, s’appelle Campanile giganteum. Lamarck est le premier à les avoir décrits tous les deux.