L’arrivée à New-York

6 décembre 2009

Ma première énigme fut un fiasco, inutile de le cacher. Peut-être que celle-ci (beaucoup plus facile!) aura plus de succès.

Arrivée N°1:

« Le port.

Le port de New-York.

1834.

C’est là que débarquent tous les naufragés du vieux monde. Les naufragés, les malheureux, les mécontents. Les hommes libres, les insoumis. Ceux qui ont eu des revers de fortune; ceux qui ont tout risqué sur une seule carte; ceux qu’une passion romantique a bouleversés. Les premiers socialistes allemands, les premiers mystiques russes. Les idéologues que les polices d’Europe traquent; ceux que la réaction chasse. les petits artisans, premières victimes de la grosse industrie en formation. Les phalanstériens français, les carbonari, les derniers disciples de Saint-Martin, le philosophe inconnu, et des Ecossais. Des esprits généreux, des têtes fêlées. Des brigands de Calabre, des patriotes hellènes. Les paysans d’Irlande et de Scandinavie. Des individus et des peuples victimes des guerres napoléoniennes et sacrifiés par les congrès diplomatiques. Les carlistes, les Polonais, les partisans de Hongrie. Les illuminés de toutes les révolutions de 1830 et les derniers libéraux qui quittent leur patrie pour rallier la grande République, ouvriers, soldats, marchands, banquiers de tous les pays, même sud-américains, complices de Bolivar. Depuis la Révolution française, depuis la déclaration de l’Indépendance (vingt-sept ans avant l’élection de Lincoln à la présidence), en pleine croissance, en plein épanouissement, jamais New-York n’a vu ses quais aussi continuellement envahis. Les émigrants débarquent jour et nuit, et dans chaque bateau, dans chaque cargaison humaine, il y a au moins un représentant de la forte race des aventuriers. »

Arrivée N°2:

« Pour une surprise, c’en fut une. A travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous nous refusâmes d’abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu’on était on s’est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous…

Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New-York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et de belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.

On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. »

Deux coups d’essai. Deux coups de maîtres. Je les offre en ce jour à la belle jeune femme de la librairie de Tréguier.

(Photographie: Alfred Stieglitz, The City of Ambition, 1910)