Qui a mieux peint l’hiver (2)?

3 janvier 2010

C’est aussi l’Épiphanie au chef-lieu du département N.

Tchékhov, Le Gel

« Le gel avait blanchi les arbres, les chevaux, les barbes; il semblait que l’air lui-même craquait, ne supportant pas le froid, mais, malgré cela, aussitôt après la bénédiction des eaux, la police était déjà près de la patinoire et à une heure précise l’orchestre militaire attaqua.
Lorsque, vers quatre heures, la fête battait son plein, l’élite de la société locale se rassembla pour se réchauffer dans le pavillon du gouverneur et sa femme, l’évêque, le président de la cour, le directeur du lycée et bien d’autres. les dames étaient assises dans des fauteuils tandis que les hommes se massaient près de la large porte vitrée et regardaient la patinoire. » (p.332)

Mais Iégor Ivanytch vient doucher la contemplation des notables:

« Le gel était cruel, effroyable. je sortais avec ma vieille et je me mettais à souffrir. Dieu Tout-puissant! On commence par glagater comme si on avait la fièvre, on se recroqueville, on sautille, puis les oreilles, les doigts, les pieds commencent à faire mal. Ils font mal comme si quelqu’un les serrait dans des pinces. Mais tout cela ne serait encore rien, pas grand-chose, pas important. le malheur, c’est quand le corps se glace. On se promène deux ou trois heures par le froide, saint prélat, et on perd toute ressemblance. On a des crampes dans les jambes, la poitrine écrasée, le ventre rentré et surtout on a dans le coeur une douleur comme il n’y en a point de pire. Le coeur souffre, on n’en peut plus, tout le corps se languit, comme si ce n’était pas une vieille femme qu’on conduisait par la main mais la mort elle-même. On est tout engourdi, tout pétrifié, comme une statue, on marche et on croit qu’on ne marche pas, que c’est un autre qui bouge les jambes à notre place. Comme l’âme est figée, on ne sait plus ce qu’on se doit: on est prêt à abandonner la vieille sans guide, ou à chiper un petit pain chaud sur un étalage, ou à chercher une bagarre. Mais quand on rentre du froid pour passer la nuit dans le chaud, on n’en est pas plus heureux! On ne dort pas jusqu’à minuit ou presque et on pleure, et pourquoi pleure-t-on? On ne le sait pas… » (p.335)

(Pochothèque, traduction Vladimir Volkoff)

Aert Van der Neer (1603-1677), Paysage d’hiver avec villageois jouant et glissant sur la rivière gelée (je traduis de l’anglais (sans doute maladroitement)).


Les lectures de l’année (1): 2009

21 décembre 2009

Je tiens scrupuleusement la liste de mes lectures. Voici, de janvier à décembre 2009, celles qui me restent en mémoire, que je voudrais recommencer. J’aimerais parfois ne pas les avoir encore faites. Elles ne sont pas toutes d’actualité, mais ce sont toutes des « premières fois ». L’expression « les livres de l’année » aurait pu paraître trompeur.

Qu’on en juge:

– Orlando Figès, La Révolution russe

– Alison Bechdel, Fun Home

– Martine Carré, WG Sebald, Le retour de l’auteur

– WG Sebald, Campo Santo

– Zygmunt Bauman, Modernité et Holocauste

– Paul Boghossian, La peur du savoir

– Werner Herzog, Sur les chemins de glace

– Ernst Jünger, Journal de Guerre (1939-1945)

– Pierre Guyotat, Formation

– Georges Perec, La Vie mode d’emploi

– Claude Simon, Archipel et Nord

– Georges Didi-Huberman, Quand les images prennent position

– Thomas Bernhard, Gel

– Arthur Schnitzler, Vienne au crépuscule (et Le Chemin solitaire, par le TG Stan)

– Mario Rigoni Stern, Hommes, bois, abeilles

– Hélène Frappat, Par effraction

– Eric Chauvier, La crise commence où finit le langage

– Peter Handke, A ma fenêtre ce matin (carnets du Rocher)

– Peter Handke, Le Recommencement

– Gilles Philippe et Julien Piat, La Langue littéraire

– Ramuz, La Grande Peur dans la montagne

– Tchékhov, Nouvelles (Le Gel, La Dame au petit chien, Au printemps)

– Alexander Kluge, Chronique des sentiments

Et Irène, d’Alain Cavalier.

Voilà, mes grands noms de 2009.